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A KAPELLE-OP-DEN-BOS, ENFIN UNE STELE COMMEMORATIVE POUR LES VICTIMES DE L’AMIANTE

C’était un souhait exprimé depuis longtemps par l’ABEVA, et la commune de Kapelle-op-den-Bos, son bourgmestre et son conseil communal l’ont réalisé : jeudi 5 septembre en début de soirée, en présence de plus de 200 personnes, a été dévoilée une sculpture en bronze intitulée « Ademloos », ou « À bout de souffle ».

Réalisée par l'artiste de Guido Van Causbroeck, elle est placée devant la maison communale. Elle est un hommage à toutes les victimes de l’amiante, particulièrement ici à celles provoquées par l’exploitation des usines Eternit installées dans la commune depuis le début du XXième siècle.
Eric Jonckheere, président de l’Abeva et cinquième membre de sa famille à être atteint d’un mésothéliome, était présent avec de nombreux proches et membres de l’association, au milieu d’une foule de plus de deux cent personnes, dont de nombreux habitants de la commune.  
Situées à 15 km de Bruxelles, installées au bord du canal, les usines Eternit du groupe Etex de Kapelle-op-den-bos ont compté jusqu’à 3000 ouvriers, aujourd’hui encore 600. Elles ont évidemment marqué de leur empreinte l’histoire de la localité. La collectivité locale a vécu dans une grande dépendance vis-à-vis de cet employeur, certes moins forte aujourd’hui mais toujours prégnante. Kapelle-op-den-Bos a longtemps été Eternit, et Eternit était Kapelle-op-den-Bos. Presque toutes les familles de la communauté avaient des membres qui travaillaient dans l'usine.

Mais qui dit usine Eternit d’amiante, dit victimes de l’amiante à proximité et Kapelle ne fait pas exception à la règle. Et pas seulement parmi les anciens salariés. Partout à Kapelle-op-den-Bos et dans ses environs, on trouvait des matériaux contenant de l'amiante dans les habitations, les clôtures, les toits, les rues, les chemins, etc.  Des opérations récentes d’assainissement local ont en partie amélioré la situation.
C’est pourquoi la direction avait mis en place pour ses salariés dans les années 80 un système d’indemnisation privé pour l’asbestose qui s’est étendu au mésothéliome dans les années 2000. Il s’agissait d’une convention confidentielle entre l’ouvrier atteint – ou d’autres malades proches - et l’entreprise. Ce système a perduré jusqu’à la création en 2007 de l’AFA, le fonds amiante, qui a été le résultat du combat de nombreuses personnes touchées, de personnalités politiques, et de groupes dont l’ABEVA fut une force motrice, s’inspirant notamment de l’exemple français avec le Fiva.

La population de Kapelle a longtemps été très liée à l’entreprise, qui fournissait emploi et de multiples services à ses employés (espaces sportifs, avantages logement, etc …). Beaucoup ne voulaient pas trop parler ou voir les conséquences sur la santé, qui ont d’ailleurs mis du temps à émerger, ou rencontraient des difficultés à accepter l’idée que l’entreprise dont ils dépendaient tant pouvait leur coûter aussi leur santé – parfois la vie -, d’autant plus que les syndicats et la municipalité jouaient aussi la coopération avec la direction pour défendre un emploi vital pour la population environnante, souvent d’origine agricole. Tout cela crée une sorte d’emprise sur les esprits, faite de sentiments mélangés, et dont il est difficile de se défaire.
D’autant plus difficile que, malgré des alertes médiatiques étrangères, ou chez nous à la RTBF depuis les années septante, la société a longtemps nié ou minimisé les dégâts de l’amiante, pour rassurer la population et les travailleurs, comme d’ailleurs de récentes décisions de justice l’ont clairement établi.  
Dans d’autres pays, comme en France par exemple, des stèles ont aussi été érigées. A Harmignies, près de Mons, où l’usine Coverit – filiale d’Eternit – a aussi fait des dégâts, notre ami Michel Verniers, décédé en 2013 d’un mésothéliome, s’est longtemps battu pour qu’on n’oublie pas tous ses collègues. Dans cette filiale, Eternit n’a pas jugé bon de proposer une indemnisation comme à Kapelle. Et les victimes sont davantage ignorées

A Kapelle-op-den-Bos, au début, des actions d’associations comme l’ABEVA pouvaient être perçues avec un peu de distance, comme lors de la première réunion organisée sur place par l’ABEVA en 2007. S’y ajoutait le fait que beaucoup de membres de l’ABEVA étaient francophones. Et historiquement, les anciens directeurs et cadres de l’usine étaient francophones et aisés, alors que les ouvriers dont les familles habitaient Kapelle étaient flamands, de condition socio-économique plus modeste. Difficile, dans ces conditions, de faire exploser le « Doofpot « (pot à vapeur ou « éteignoir » ) !
Mais les choses se sont bien améliorées de ce côté là depuis ces débuts. La triste multiplication des maladies dans la population locale est notamment à l’origine de ce rapprochement. Avec aussi la multiplication des contacts et une meilleure connaissance mutuelle, des victimes locales et leurs proches ont commencé à participer au travail de l’ABEVA.

Une association locale de victimes de l’amiante à Kapelle portant le nom de « Willy Vanderstappen », - un leader écologiste local décédé d’un mésothéliome – a aussi été créée. Celle-ci a mis en place un rallye cycliste, organisé chaque année, dont le trajet tourne autour de l’usine. A Kapelle, on n’est plus décidé à laisser ses morts de l’amiante passer par pertes et profits.
L’élection en 2019 d’un nouveau Bourgmestre, Renaat Huysmans, ancien médecin qui a fait une grande partie de sa carrière à Kapelle-op-den-Bos, a beaucoup fait évoluer la situation.
La gestion communale s’est plus distanciée d’Eternit, et a commencé à s’investir dans des opérations de désamiantage, menées aussi en collaboration avec l’OVAM ( office flamand de l’environnement). Une opération en ce sens a été menée dans plusieurs communes touchées des environs, après un accord passé avec Eternit pour obtenir un financement – limité - de sa part.
Après plusieurs tentatives et discussions passées infructueuses pour la réalisation d’un tel monument commémoratif, ce sont finalement ce bourgmestre-ci et ce conseil communal -ci qui l’ont réalisé.

Dans son discours, le bourgmestre a eu des mots très forts et émouvants. « Je voyais passer entre trois et cinq cas de mésothéliome chaque année dans mon cabinet » a-t-il expliqué. « Et certains d’entre-eux étaient de mes amis ».
Concernant la cérémonie du jour, évoquant le « fardeau historique que porte Kapelle-op-den-Bos comme village de l'amiante par excellence » il ajoute : « L'association des victimes de l'amiante réclame depuis longtemps un lieu de réflexion, un monument quelque part qui puisse servir de témoin silencieux des souffrances endurées par de nombreuses personnes. Nous avons donc souhaité ériger un monument à la mémoire de toutes les victimes de l’amiante », explique-t-il.  

« Nous avons contacté l'artiste et sculpteur de Kapelle Guido Van Causbroeck pour lui demander s'il souhaitait créer un tel monument », précise le bourgmestre. « Je lui suis extrêmement reconnaissant d’avoir immédiatement accepté ce défi et de l’avoir relevé. »
« La statue a été intégrée dans un espace vert nouvellement aménagé de la place du Marché, près du centre administratif, dans un lieu où la communauté se rassemble, où les histoires se partagent et où l'espoir se trouve dans l'unité. C’est une invitation à chacun de faire une pause, de réfléchir et de reconnaître que derrière chaque chiffre se cache une histoire humaine ».

Eric Jonckheere, le président de l’ABEVA était présent au premier rang. Il s’est levé pour dévoiler la statue malgré un mésothéliome qui l’oblige à se déplacer souvent en fauteuil roulant.  Pour lui avec son passé de jeunesse à Kapelle, le moment était très émotionnel et symboliquement fort. Pour l’ABEVA, l’installation de ce monument est très importante. "Enfin, Kapelle-op-den-Bos dispose désormais d'un lieu où sont commémorées les victimes, après des années d'opposition de la part de l'entreprise", dit-il. « Espérons que cela donnera également aux politiciens le courage de rappeler à Eternit ses obligations. La Belgique regorge encore d'amiante, notamment dans de nombreux bâtiments scolaires. Quel homme politique a le courage d’obliger Eternit à financer l’assainissement ?

C’est ensuite Marijke Van Buggenhout qui est intervenue au micro devant la statue dévoilée, au nom de l'ABEVA et de son père, également atteint de mésothéliome.
La cérémonie s’est terminée par un verre dans la maison communale qui surplombe à présent le monument autour duquel continuaient de se dérouler des discussions animées.

    
On trouvera ci-joints
- le discours du Bourgmestre de Kapelle-op-den-bos Renaat Huysmans
- le discours de Marijke Van Buggenhout pour l’ABEVA
- une petite revue de presse