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Quand il faut tuer pour faire tourner l’économie

LEDROIT.FR
14 avril

Quand il faut tuer pour faire tourner l’économie
POINT DE VUE / Aujourd’hui, mon oncle est mort. Mésothéliome pleural. La cause: l'exposition à l’amiante il y a une cinquantaine d’années dans une entreprise de peinture. Parce que, tsé, à l’époque, on mettait de l’amiante partout. Autant dans la peinture que sur les toasts le matin.
Bon j’exagère, mais pas tant que ça. Bon nombre de grille-pain de l’époque contenaient de l’amiante.

L’entreprise n’en avait rien à cirer de la santé et de la sécurité au travail. Mon oncle en était à ses premiers emplois. Pas grave, il était jeune, il pouvait en prendre. Pas besoin de protection. Donc il respirait de l’amiante à plein nez. Les narines pleines d’amiante. Ça ne va pas le tuer.

Sauf que si, ça l’a tué. Cinquante ans plus tard. Après 18 mois de lutte contre le cancer. En plein milieu d’une pandémie, juste pour rendre les choses plus compliquées. En laissant derrière lui sa conjointe, ses soeurs, ses neveux, sa belle-famille, son voisinage, et beaucoup d’autres personnes. Parce que mon oncle était généreux, aimable, humaniste, bon vivant. Il se préoccupait des autres. Parce qu’on est tous dans le même bateau.

Son patron, il y a 50 ans, ce n’était pas sûr qu’il avait les mêmes préoccupations. Il aurait fourni de l’équipement de protection si ça avait été le cas. C’était quand même une entreprise de peinture, avec tout ce qu’il y a de produits chimiques. De l’équipement de protection personnelle, c’est comme un gros minimum pour protéger tes employés. Sauf que, qui se préoccupe du p’tit jeune qui vient de rentrer… Ou des autres. Pourvu que la piastre rentre.

Donc, on mettait de l’amiante partout. Dans les années 1960 et 1970. La production d’amiante a connu son apogée en 1973. On encourageait la production, parce que ça donnait de la job. Beaucoup de jobs. Tant pis si le produit tue, pourvu que ça fasse tourner l’économie. Beaucoup de production, donc il faut trouver des débouchés. Il faut en mettre partout. Dans la peinture. Dans le béton. Dans les plafonds. Dans les toitures. Dans les grille-pain Partout. Faut écouler le stock.

Mais, au début des années 1970, on commençait à se douter des dangers de l’amiante. La recherche a continué, d’autres études ont été publiées. Des pays ont commencé à restreindre, voire à interdire le produit. Les États-Unis ont ouvert le bal par une interdiction graduelle de plusieurs produits de l’amiante à partir de 1973. Les pays scandinaves ont suivi. Plusieurs pays de l’Union européenne aussi. Au tournant du millénaire, la plupart des pays occidentaux avaient interdit l’amiante. En Amérique latine, en Afrique, en Asie, plusieurs pays l’interdisaient également.

Au Canada, il faudra attendre à 2016. Quarante-trois ans après les premières interdictions états-uniennes. On a continué de construire ou de produire plein de trucs avec de l’amiante pendant plusieurs années, voire des décennies. On a continué d’y exposer inutilement plein de gens parce qu’on a voulu faire tourner l’économie. Pas grave si ça en tue un couple.

Sauf que, justement, c’est grave. Personne ne devrait mourir pour faire tourner l’économie. Personne n’avait à mourir. Pas même mon oncle. On le savait. Et on ne l’a pas protégé. Quel est le prix de la vie humaine quand il faut faire tourner l’économie?